dimanche 20 mars 2011

Vers le pays Bassari

Le lendemain, nous nous rendons de bonne heure à la gare routière pour prendre la direction de la brousse. Cristina m'a prévenu que le voyage serait pénible, alors je suis préparé mentalement pour affronter une longue journée. Le trajet se fait dans une vieille Peugeot 504 optimisée pour le transport de sept passagers. Pour avoir plus de confort, nous achetons les trois places arrière et attendons que le dernier passager arrive. Il a beau être six heure du matin, un vendeur de lunette de soleil s'approche et nous propose des imitations de Rayban contre un "bon prix", par les fenêtres des gamins nous réclament cent francs pour manger. Déjà vu ! Je préfère dormir. Notre taxi doit avoir plusieurs millions de kilomètres au compteur, mais je ne peux vérifier cette hypothèse car le tableau de bord n'affiche plus rien. Après une heure d'attente, le chauffeur tourne la clé de contact. La 504 se mets en branle comme un vieux cargo. Il est sept heure du matin. Nous quittons la périphérie de Dakar et il fait encore nuit. Peu à peu, les constructions s'espacent, les cases traditionnelles sont plus nombreuses à mesure que nous nous enfonçons dans les terres. Notre destination, le pays Bassari, se trouve à sept cent kilomètres de Dakar. A cause de l'état des routes, il faut compter deux jours pour faire le trajet. Le premier jour, nous roulons dix heure pour atteindre Tambacoumba, un village à mi-chemin. Le chauffeur taciturne roule sans mot dire. D'ailleurs, dans notre taxi, tout le monde se tait. Serré sur la banquette, je peine à trouver une position confortable pour mes jambes. Les nids de poule minent la route et interdisent tout sommeil. La poussière s'infiltre par les fenêtres et j'ai de la terre plein le nez. Cristina avait raison : ce n'est pas un voyage en première classe !


Vers cinq heure de l'après midi, nous atteignons notre destination. C'est un village construit autour d'une route. L'air sent l'essence et la poussière. A peine sortis du véhicule, des enfants s'approchent de nous : «Donne moi cent francs », «Donne-moi un cadeau». Ils prennent des airs tristes et nous suivent en meute. "Donne moi cent francs". Je ne suis pas très à l'aise. Pour fuir ces perpétuelles sollicitations, nous nous éloignons du marché du centre ville. Mais avant de quitter le périmètre, il nous nous faut encore affronter un mendiant particulièrement tenace. Il prétend être réfugié de la côte d'Ivoire et me demande de lui trouver un travail (n'importe lequel). Il nous supplie de l'aider et invoque "la grâce de Dieu le Christ notre seigneur tout puissant !". Nous nous échappons.

Ici j'observe la misère de près pour la première fois et je m'étais préparé à un choc. Mais à vrai dire, je ne m'imaginais pas que ce fut à la fois si désagréable et si peu triste. De loin, la pauvreté semble être une sorte de drame terrible, une fatalité, une malédiction, mais dans les faits, c'est un feu d'artifice de bric et de broc. Dans cette foire aux freaks, les éclopés, les édentés, les manchots et les culs de jattes rient et pleurent sans penser à rien. Pour manger, ces gens font n'importe quoi. Dans leur style, il vivent une vie magnifique. Le mode de vie parasitaire de cet univers me dérange, mais surtout je juge l'insouciance de ces gens tout à fait inconvenante.

Nous traversons les bidonvilles de la périphérie, ceux que nous croisons sur la route ont le sourire. Ils sont plutôt accueillants. La misère sous le soleil ne semble pas si terrible. L'atmosphère baigne dans une ignorance bienheureuse. Il est cinq heure du soir. L'école se termine et des adolescents arrivent pour jouer pied nus sur un terrain vague. Un type nous interpelle : "Eh Toubab ! prend moi en photo ! Je suis une star !". Des petits jouent avec des brouettes désossées, ils courent après des pneumatiques éclatés. Tout le monde semble s'amuser. Seules les femmes d'un certain âge semblent échapper à la joie de cette vie en éclat de rire. Les grands-mères ne sourient pas, ou plus exactement, elle ne sourient plus.

Coucou
Cristina en compagnie d'enfants de Tambacoumba

Rue de Tambacoumba


Coucou
Gamins turbulents me demandant des cadeaux

Arrivée. Hagard à la gare routière de Tambacoumba


Ici, les habitants ne sont manifestement pas habitués à voir des blancs. Ils nous observent comme si nous étions des animaux venus de loin. Un attroupement d'enfants nous encercle et se déplace à notre vitesse. Ils chuchotent entre eux et les plus braves nous interpellent : "Toubab, toubab !". Ils ne connaissent pas le français. Pour communiquer avec nous, ils rient. Ils voient que Cristina porte un appareil photo en bandoulière et réclament une photographie. Cristina leur demande leur nom. Nous sympathisons et ils nous conduisent chez leur parents. La famille est réunie dans la cour autour d'une marmite fumante. Après quelques palabres, la grand-mère nous propose d'adopter sa dernière fille contre un peu d'argent. Cristina décline poliment l'offre, mais la grand-mère insiste : « il n'y a pas de problème, l'homme sera d'accord. Donne moi de l'argent et prends cet enfant ! Ne t'inquiètes pas, nous en avons beaucoup d'autres". Au Sénégal, les femmes ont en moyenne 7 enfants dans leur vie. La mortalité infantile ayant fortement diminuée, il est plus difficile d'assumer sa famille qu'auparavant. Techniquement, la solution serait de développer la contraception, mais mes hommes refusent d'en entendre parler : "ce n'est pas naturel". Sur ce continent, la nature a le dernier mot partout. Personne ne sait pourquoi il vit, personne ne sait pourquoi il meurt, mais chacun sait que c'est comme ça.

Dehors, il fait chaud. Nous retournons à l'hôtel pour nous reposer. Je suis épuisé. J'ai le sentiment d'en avoir trop vu. Pour quelques instants, j'aimerais retrouver un semblant de calme et de logique. Alors, je prends un livre et je m'allonge sur le lit. Mais alors que je m'efforce de terminer mon chapitre, un air épais déploie sur moi ses lianes puissantes. Je suis terrassé par une force étrange. Mon corps s'enfle d'une paresse extraordinaire et je ne parviens pas à contrer le poids de mes paupières. Tel un reptile exotherme, je deviens incapable de mouvement. Je deviens un enfant perdu dans un autre monde dérivant sur le Styx noir d'un cauchemar. Dans des limbes puissantes, je sombre. Mes doigts se dilatent, mon souffle se ralentit. Je ne suis pas certain d'être en train de respirer... Je ne comprends rien à ce qui se passe ici. Tout me semble si incohérent. Je m'endors. Je rêve d'escalator et de métro et pour une fois, cette vision m'apaise.

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