dimanche 20 mars 2011

Au confins du Sénégal

Alpha nous propose de partir pendant trois jours en cavale dans des villages reculés. Sa formule "écotourisme", nous immergera dans le quotidien d'africain de la brousse. Pour ce faire, il nous faut abandonner le confort de notre hôtel. Nous n'aurons ni eau courante, ni électricité et pour ne pas risquer une intoxication, nous acheterons un gros bidon d'eau. Nous n'oublions pas non plus d'emporter une lampe de poche pour nous déplacer dans la nuit, si jamais la lune n'est pas suffisament claire. Bien que les 4x4 soient préférables sur les chemins de terre, pour des raisons de budget nous louons d'une vieille 504 aux pneus à gros crampons. Notre itinéraire nous rapprochera des frontières du Mali et de la Guinée. Dans ces contrées, les ethnies sont pléthoriques. En réalité, la mosaïque des peuples est beaucoup plus complexe que ce que ne le laisse suggérer les mappemondes des atlas. Ici, les découpages sont multiples : il n'y a pas de nation au sens ou nous l'entendons en occident, par contre il y a les tribus, il y a des familles, il y a des clans et des ethnies. Parfois, une ethnie est un empire ; comme pour les madingue, parfois elle se ramifie alors en plusieurs cultures ; comme les peulh, et parfois les ethnies n'ont pas de marque raciale particulière comme les bassaris. Certaines ethnies se mélangent entre elles. D'autres interdisent le mariage hors ethnie. A Kedougou, pas moins de huit ethnies se mélangent : Les Peulhs, les Bassaris, les Bediks, les Madingues, les Bambaras, le Wollofs, les Yalongas et les Kognalis. Parmi les langues employées, certaines ont des racines communes, mais d'autres vivent côte à côte ne se comprennent même pas. Dans ce maelstrum, le français sert de langue internationale et il est employé dans le commerce. Pour comprendre la complexité des questions ethniques, il faut aussi intégrer la dimension historique à la géographie des peuples. A cause d'une guerre qui eut lieu deux siècles auparavant, les Bediks n'aiment pas les Peulhs, mais les Bediks aiment les Bassaris car ils les ont abrité du temps où il était pousuivit par Alimurrah. Au final, la mosaïque est si complexe qu'elle n'a aucune chance d'être comprise par les étrangers.

Nous roulons pendant une bonne heure ; les chemins se font de plus en plus étroits. Entre les nids de poules et les arbres noueux, notre chauffeur zugzague avec une décontraction stupéfiante. Nous croisons des hommes à vélo se rendant au marché de Kedougou. Ils parcourent quarante kilomètres aller-retour plusieurs fois par semaine. Ils entassent leurs marchandises pèle-mêle sur leur porte-bagages. Les femmes, par contre, vont à pied. Dans des bassines multicolores, elles portent le linge à la rivière. Elles avancent indolentes, sous le soleil, gracieuses et absolument verticales sous le joug de leur corvée. Sur les chemins poussiéreux, leur robes sont chatoyantes.

Coucou
Famille se rendant au marché
Femme partant à la rivère pour faire la lessive

Notre voiture s'arrête devant une montagne sèche et pierreuse. Nous nous extirpons du véhicule tandis que trois individus sortis de nulle part se joignent à notre groupe. Un interprète se présente, il s'appelle Jean-Pierre nous expliquera la culture de son peuple. Pendant ses explications, des femmes s'approchent de nous et nous proposent d'acheter de la verroterie. Le village que nous allons visiter est situé à mi-hauteur de la colline. Nous grimpons par un sentier étroit. Sur le bord du chemin, des paysans travaillent la terre avec une houe. Sous un jujubier, des femmes interrompent leur cueuillette pour nous observer. Notre ascension se poursuit pendant une quinzaine de minutes quand le village surgit au détour d'un rocher. Une quinzaine de cases traditionnelles s'aglomère sur un petit plateau dans la montagne. Faites d'adobe et de terre de termitière, leur toit cônique est en chaume. L'interprète nous explique que trois familles résident ici. Les moeurs sont simples : hommes cultivent la terre, les femmes s'occupent des enfants et préparent la nourriture. Il est environ onze heure du matin. Au centre du village, on tient une sort de marché où sont exposées quelques statuette de terre cuite. Pour faire plaisir à nos hôte, nous achetons un totem de fécondité. En même temps que nous goûtons au joie du commerce (ça faisait longtemps), le guide nous délivre quelques rudiments de la religion locale. La cosmologie indigène est un peu déroutante ; elle mélange animisme et monothéisme. Ici les dieux sont assez grégaires et cohabitent sans faire de prosélytisme. A côté de l'autel des sacrifices, une case est surmontée d'une croix de Jésus. Elle sert d'église pour les grandes fêtes chrétiennes. Elle fut construite par le prêtre missionnaire il y a une trentaine d'année, ce dernier apporta quelques bienfaits de la modernité au villageois. Parmi ses hauts faits, le chef nous mentionne la découverte d'un puits non loin du village. Pour lui rendre hommage, les habitants le célèbrent encore. Il y a des esprits et il y a Jésus. Jésus est un esprit et les esprits veillent sur Jésus, mais il n'y a pas de quoi créer une guerre de religion.

Coucou
Le village à mi hauteur de la colline
Notre 504

Nous quittons le village et poursuivons notre excursion par un sentier escarpé. Nous avons pénétrons dans une sorte de réserve pour indigènes : ici, il n'existe plus de quota de chasse, plus d'impôts, plus de service militaire. En chemin, nous croisons quelques paysans torse nus qui portent leurs outils sur l'épaule. Ils cultivent de minuscules parcelles à flan de côteau où ils font pousser du manioc et des bananiers. Ces hommes sont des villageois d'en haut. Notre guide leur donne quelques noix de coca, car il est traditionnel d'honorer les ainés. Iwall est le plus grand village Bedik du Sénégal. Il est l'un des derniers jardins d'Eden au monde. D'après l'âge du baobab sacré, la fondation du village remonte aux années 1300. Le fondateur du village construisit la première hutte à côté du fromager sacré. Cet arbre, dont il ne reste que la souche, se trouve aujourd'hui au centre d'une centaine de cases. Cinq grandes familles délimitent les quartiers du village. A peu de chose près, ses habitants vivent selon les rythmes ancestraux. Même si certains jeunes portent des tee-shirt troués, nous apercevons des femmes sur des paillasse en train de filer du cotons. Ici, les filles ont des enfants dès quatorze ans, et l'on passe directement de l'enfance à l'adolescence. Pour les garçons, le passage à l'âge adulte se fait lorsque le chef du village les juge dignes de devenir des hommes. Ils sont alors envoyés dans la forêt et pour y vivre pendant quelques mois et apprendre au contact de la nature. Il n'existe pas de meilleure formation pour découvrir ce qu'est concrétement la vie, combien la pluie, le vent, le soleil et la nuit sont des lois fondamentales. Ils se construisent des abris près des troncs de gros baobabs, pour manger de la viande, il chassent des phacochères et des babouins ou des écureuils. Et pour manger sucré, ils ont les goyave, les jububes, les oranges... Les lois du monde sauvage sont dures, mais la nature est prodigue. Ils quitte le village par groupe de deux ou trois, mais durant leur formation ils parlent peu comme des animaux. Plus tard, lorsqu'ils retournent au village, il ne regagnent pas immédiatement la société. Leur éducation se poursuit dans une cahute au sortir du village. Là, des hommes initiés achèvent leur formation en leur dispensant un enseignement spirituel et en leur transmettant leur ascendance. Ils n'ont pas le droit de communiquer avec les femmes, ni avec les enfants et emploient entre eux une langue ancienne et mystique : magique.

Coucou
Femme du chef portant la coiffe traditionnelle
Souche du fromager sacré

Cette réminiscence d'un Eden perdu attire des aventuriers de tous poils. Bien que perdus au fin fond de l'afrique, nous ne somme pas les seuls blancs dans le village. D'autres toubabs sont venus chercher le précieux morceau de l'innocence primitive qui pourrait donner un sens à leur vie. Sous une paillotte, nous trouvons un informaticien de Boston en train de se reposer. Il y a aussi un américain médecin d'une trentaine d'année en mission humanitaire. Il consacre deux années de sa vie à enseigner la médecine non maraboutesque aux noirs des villages isolés. Il parle le Peulh couramment et il ne supporte pas que les noirs l'appelle le « Toubab ».

Je ne parviens pas à comprendre quelles peuvent être les raisons qui pousse cet individu à un tel renoncement, mais je crois que l'explication n'est pas à chercher dans le domaine du rationnel. En effet, il faut une sorte de foi pour s'imaginer avoir sa place ici en étant blanc. Dans ses yeux, je lis sa certitude qu'il a de faire le bien. Nous croisons aussi un perche-man, un cadreur et finalement, toute une équipe de télévision en train de voyager sur la planète pour rencontrer les peuples en périls.

A n'en pas douter, le mode de vie tranquille de ces aborigènes disparaitra bientôt pour n'être plus qu'un souvenir de l'humanité. Il est urgent d'immortaliser ces hommes sur une pellicule : dans cinquante ans, je pense que ces vidéos seront diffusées dans les musées d'histoire naturelle.

Coucou
Femmes filant du coton
Cuisine à côté de la place du village

Nous dormons dans un campement aménagé pour les occidentaux à Dindefelo. Ce petit village au pied de la montage n'est pas aussi préservé que les autres ceux que nous venons de visiter ; à l'instar de l'atelier de réparation de motocyclette, certains bénéfices de la modernité ont convaincus, mais il n'y a pas encore d'électricité ni d'eau coutante. Prochainement, Dindefelo sortira de son enclave. Quelques bâtiments possèdent des panneaux solaires. La globalisation a commencé son oeuvre à travers internet. Nous visitons les principales institutions du village : Le dispensaire médical, l'école primaire et surtout le collège qui vient d'être construit. Le proviseur est très fier lorsqu'il nous annonce que l'on achètera des ordinateurs portables pour équiper les élèves. Dindefelo est le premier village en terre Bassari.

Au loin nous entendons le son des tambours. C'est un mariage ! Trois musiciens animent la fête. Ils frappent frénétiquement leur tamtam et marquent le rythme à coups de sifflet. Les filles youyoutent et forment un cercle autour d'une danseuse. Celle qui est au centre a son quart d'heure de gloire : elle se trémousse et se met en transe, ses pieds nus soulèvent la poussière. Notre voyeurisme est toléré. Des villageois nous invitent à danser, puis nous laissons la fête se poursuivre et regagnons notre campement.

Coucou
Cristina prend sa douche
Souche du fromager sacré

Derrière une barrière d'osier tressé, nous prenons une douche en plein air. L'eau dans le seau n'est pas très claire, mais en ces terres poussiéreuses, nous aurions mauvaise grâce à faire les difficiles. A certains détails, nous remarquons que nos culs blancs bénéficient d'un traitement de faveur : Notre fosse septique est propre, nos pieds de lit sont rehaussés afin que les lézards ne se glissent pas dans nos draps et puis, nous n'allons pas chercher l'eau au puits.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire