dimanche 20 mars 2011

Au départ pour Dakar

Le moteur démarre. Nous quittons la gare routière pour l'aéroport de Madrid. Tandis que le diesel ronronne, l'horizon de la Castille défile au travers de fenêtre du bus. Rien n'accroche le regard. Nous glissons sur un long ruban de soie sans bruit ni conscience. Le processus de déconnexion s'enclenche et, peu à peu, nous devenons vacanciers. Nous laissons derrière nos soucis. Dans la plaine est vaste comme un désert, la mémoire s'oublie et mes pensées chancellent. Le temps fuit sans point d'attache. Je ne suis ni chez moi, ni chez mes beaux-parent, ni nulle part ailleurs. Je suis, comme on dit, "en transit". Ma position concentre tous les intermédiaires. En partance, je suis dans les limbes du monde, et cet état réveille en moi tous les germes des vies que j'aurais pu avoir mais que je n'ai pas réalisées. Où serai-je dans cinq ans ? Qui peux le dire ? Cristina à côté de moi, repose sa tête sur mon épaule et dort. Cela fait cinq années que nous sommes ensemble... C'est étrange comme ces petits moments mis les uns à la suite des autres ont finis par faire une vie. Mais laissons ! Tous les périples commencent par une brève amnésie. Tout à l'heure à Madrid, nous décollerons pour Dakar.

Devant le panneau d'affichage de l'aéroport, Dakar n'est qu'une destination comme les autres. Peut-être ai-je trop d'imagination, où peut-être que je projette sur ailleurs la compensation d'un monde beaucoup trop rationnel, mais j'aime croire qu'il existe encore des endroits où l'optimum ne fixe pas la règle.

Pourquoi alors toutes ces idées romantiques à propos de l'Afrique ? Je n'ai jamais mis le pied en Afrique, mais j'ai déjà l'intuition de ce continent. Tandis que j'appuie ma joue contre la vitre, le rugissement du gazoil m'entraine dans un rêve. Lorsqu'il s'agit d'Afrique, mon imagination se débride. J'anticipe les savanes et les brousses, les parfums corsés de la terre noire et je me laisse aller à l'innocence primitive. L'Afrique est le jardin d'Eden où Dieu s'est penché en premier. Il est inscrit dans nos gênes que nous venons de là bas... Comment expliquer autrement que les enfants soient si fascinés par les éléphants, les girafes et les lions ? Et puis Qui n'a pas un jour été ému par l'étendue de la création, lorsqu'un dimanche d'ennui, il ne se trouvait rien à voir d'autre à la télévision qu'un reportage sur la vie des grands fauves ? Oui, on croirait que ces créatures sont évadées d'un rêve. Pourtant, ces inventions saugrenues existent ! Tout peut pousser en Afrique ! Les clichés tirés des émission d'Arte se bousculent. Il y a l'arbre à palabre où le griot conte ses histoires, il y a ces villages perdus dans la brousse où les femmes pilent le mil, il y a ces cités anarchiques qui bruissent dans le désordre et la joie. Là-bas des existences vont et crèvent depuis la nuit des temps. Comme les vagues de l'océan, l'Afrique est dans notre inconscient un morceau de pureté. Alors, j'attends le choc, l'étincelle qui dérangera une vie trop matérialiste. Enfin, pour résumer je me suis préparé à trouver un grand chaos régénérateur.

Mais revenons à nos moutons, car il semble que la fièvre m'emporte. Un voyage, dis-je, s'il comporte une part de rêve, ne s'en satisfait pas. Loin de là... car un voyage c'est aussi la confrontation avec une réalité radicalement différente. De fait, il est difficile de s'imaginer l'effet que que produit un pays en voie de développement, c'est comme de tomber lilliputien dans une fourmilière. Aucun récit ni album photo ne sauront jamais révéler la saveur pleine et entière de la première secousse du Sénégal car elle appartient fait partie de ces détails que l'on se hâte de gommer au montage.

A peine sommes nous sortis de l'aéroport de Dakar que nous sommes immédiatement interceptés par une dizaine d'individus. Ils insistent pour que nous montions dans leurs taxis. Nous avons la désagréable impression d'être de la viande lâchée en pâture à des affamés. Nous protestons poliment avec un tact tout blanc, mais il ne se découragent pas. Il semble que rien ne soit aussi profitable qu'un blanc fraichement descendu des nuages. De tous côtés, on nous interpelle :

- Mon ami, tu a besoin d'un taxi ?
- Attends, je te prends tes bagages Un type enlève mon sac-à-dos de mes épaules et le mets dans le coffre de sa voiture.
- Monte dans mon taxi : pas cher.

Par chance, la personne qui nous reçoit est un local et il se met en travers de importuns en leur expliquant dans leur langue quelques verdeurs bien choisies. Nous nous installons à l'arrière d'une Kangoo. Elle nous mène à une école de prêtres où passerons quelques nuits.

Bus dans une station service

Le lendemain, j'insiste pour faire un peu de tourisme "classique". A quelques kilomètres des côtes de Dakar, l'île de Gorée a servi de base au trafic d'esclaves pendant près de deux siècles. Pour nombre de noirs, ce bout de rocher fût le dernier morceau de terre Africaine que connurent leur pied. Des bateaux venus de loin les emportaient ensuite dans une nouvelle vie beaucoup plus triste, vers l'Amérique et les Antilles. Cristina n'a pas très envie de faire cette visite car elle a déjà vu l'île de Gorée, mais elle cède à mes instances. Un bateau partant de la pointe de Dakar assure la liaison avec l'île. Nous y accédons en passant par le quartier commerçant de Sandaga. Nous ne le savons pas encore, mais c'est une grave erreur. Sur la voie principale, la circulation est difficile, les tapis des marchands debordent sur la chaussée. La foule piétine devant les innombrables échoppes. A peine avons nous posé un pied dans la rue que quatre types nous accostent et nous souhaitent la bienvenue avec un boniment bien rôdé : "Bienvenu mon frère, tu sais nous sommes tous de la même couleur". Ils nous offrent de visiter leur boutique et leurs ateliers et jurent devant tous les dieux que ce n'est que "Pour le plaisir des yeux". Ils nous attestent que toutes les marchandises exposées devant nos yeux viennent d'un artisanat local. Les masques ont été confectionnés par "le frère", les statuettes par "le cousin" ou "le père". Nous entendrons mille fois le même laïus commercial. Ils tentent de faire vibrer en nous la corde de l'authenticité. Apparemment, l'argument est à la mode chez les vendeurs de souvenirs. Par excès de candeur, nous nous sentons obligés de céder aux pressions de nos "amis" (au moins un fois). Le plus insistant des quémandeurs nous suit partout et ne ménage pas son zèle. Il se propose de nous guider dans la capitale, gratuitement. "Attention, à Dakar, il faut se méfier, il y a plein d'escrocs". Dans la banque, il attend patiemment que nous changions nos devises. Notre guide tel un roquet stupide, nous tentons de lui faire comprendre qu'il n'est pas désiré, mais il fait semblant de ne pas relever. Pour lui, le temps n'a pas d'importance. "Comment tu t'appelles ?" "Je m'appelle Charrif. Enchanté" Il insiste pour nous conduire chez son ami vendeur de textiles Africains : "C'est juste pour te donner la carte du magasin". Pendant que je m'escrime à faire comprendre à nos hôtes que je ne suis pas intéressé par leurs produits, Cristina, vaincue, examine les tissus et écoute patiemment le bagout commercial d'un type qui prétend connaitre Rome.

- Cette robe est authentique, elle a été fabriquée ici, au Sénégal. Elle a été trempée dans l'essence de Baobab pour repousser les moustiques. C'est de la qualité. touche ! et ce n'est pas cher ! Pour les américains, je pratique le tarif plein pot : 60000 francs, mais pour vous, parce que vous êtes des amis, je vous le laisse à 40000.

Notre guide "obligatoire" rumine parce que nous lui avons donné un pourboire en nature

Marchande dans les rues de Gorée

Une âpre négociation commence. Cristina, la calculette en main, effectue inlassablement les conversions francs CFA vers euros et vice versa. Elle se perd dans les calculs, mais elle parvient à maintenir la pression sur les vendeur. Elle tient à acheter les choses à leur juste prix. Finalement, elle achète une robe très colorée à la mode africaine pour un prix à peu près équivalent à celui que nous aurions payé aux puces de Saint-Ouen. Nous nous rendons compte qu'il est difficile de faire de vraies bonnes affaires au Sénégal tout est tellement relatif. Peu après l'achat Cristina remarque une petite étiquette sur la robe qu'elle vient de s'acheter. Il est inscrit "made in Taiwan"... (Oui mon frère, les baobabs poussent aussi en Asie). Arg ! Nous avons été eus ! Il est évident que nos peaux trop blanches ne nous permettront pas d'être traités comme tout le monde. J'ai l'impression qu'on nous prend pour des pompes à fric. Le racisme est clair. Blancs, nous sommes en minorité devant une multitude. A peine nous sommes nous débarrassés d'un bonimenteur, qu'un autre nous accapare immédiatement : "Mon ami, veux tu m'acheter un collier ? ". A notre vue, des essaims de brocanteurs se détachent pour proposer toute sorte de produits (rarement utiles). Comme une moule à marée basse, je ferme ma coquille. Je traverse la foule sans rien entendre, sans rien voir. Sans arrêts, il est question d'argent : "pas cher ! pas cher !"et je m'épuise.

Boutique de Gorée
Vue sur la mer depuis la maison des esclaves de Gorée

Nous atteignons enfin le port, et nous sommes tranquilles quelques instants avant d'embarquer. Un tourniquet interdit l'accès au gens qui ne sont pas munis de tickets. Dès que nous montons dans le bateau, nous sommes à nouveau harcelés par des marchands :"Comment tu t'appelles" "Il faudra que tu viennes visiter ma boutique". "Regarde ce joli collier" etc. etc. Nous ne trouvons la paix nulle part. En vainc, nous tentons de mettre au point une méthode prophylactique pour éloigner les importuns, mais le long intestin des ruelles de Gorée a raison de nous. Il digère et absorbe inlassablement les fonds des touristes. Des gamins sur la plage s'approchent et nous proposent nettoyer nos tongs pour une pièce de cent francs. Nous leur expliquons qu'il n'est pas nécessaire nettoyer des chaussures sur une plage parce qu'elles se saliront immédiatement, mais le gamin nous regarde avec des yeux de chien battu. "Mais soyez sympa : tous les clients nous disent cela !" .

Je ne comprends rien ! C'est une économie sans queue ni tête. Elle échappe à toute logique. Ce que Marx appelait la "fonction d'utilité" est un concept inexistant. La raison est délibérement ignorée, et l'économie se passe de rationalité.

Les africains se foutent totalement des causes, des effets, des fins dernières et de la science. Ils vivotent tranquillement et cultivent l'anachronisme, le baroque, l'inutile. Dans ce monde, il n'y a aucun principe qui vaille et le bordel est invincible. Chaque jour apporte son lot de désorganisation et personne ne s'en inquiète. En fait, les hommes semblent avoir capitulés devant l'éternelle force de la jeunesse. Les adultes sont résignés au diktat du présent. La même histoire qui se répète chaque jour. Le matin, le soleil se lève, puis il s'élève dans le ciel et le soir il s'affaisse lascivement sur l'horizon. Personne ne se préoccupe de ce qui adviendra après le crépuscule. Au marché, les cigarettes, les doses de lessive se vendent à l'unité. A n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, il se trouvera forcément quelqu'un pour vous préparer un café. Dans les embouteillages, personne ne s'énerve (à quoi cela servirait ?). Sur la quatre voie, des 4x4 BMW rutilants se mélangent aux bus rafistolés de tous côtés. Un supermarché est construit à côté d'une décharge. Dans un magasin, j'achète une boite de biscuit St-Michel dont la boite représente un fier paysan devant un clocher d'église de Saint Michel Chef Chef. C'est absolument surréaliste !


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Autobus Système D

Etal d'un marchand à Dakar

Dans la jungle des villes

On pourrait croire que ces contrastes génèrent des tensions. On pourrait croire que ces inégalités s'appuient sur de puissantes oppositions et que la tectonique d'une révolution est en place. Pourtant, les criantes injustices que l'on constate dans les rues de Dakar ne semblent lever aucune rancoeur entre les Sénégalais. Il y a dans l'air comme un parfum de religion, une ferveur fataliste. La force du désordre est supérieure à celle de la cause commune. Et alors ? Oui, et alors ? Pourquoi ne sertait-ce pas normal ? J'ai la sensation confuse qu'aucune histoire ne s'écrit en Afrique. En fait, Dakar est écosystème aux équilibres fluctuants.

La religion principale du Sénégal est l'islam, mais elle est loin d'être la seule. La cohabition des différents cultes se passe bien. La minorité catholique est très active. Elle joue un rôle important dans le développement et l'éducation. Dans le bâtiment qui nous héberge, des prêtres étudient la philosophie. Ils termineront leur cursus au Congo en théologie. Peut-être est-ce un effet de proximité culturelle, mais je me sens moins décalé en leur compagnie.

Dans l'enceinte du bâtiment, les choses sont plus organisées, plus anticipées. Le Dimanche, la messe est célébrée sous une tente dans la cours. Surpris à notre réveil, nous nous prenons place les fidèles. Sur les bancs, à côté de leur mère, les enfants ne pleurent pas. Ils restent sages. On se lève, on s'assoit. On chante, on se signe. Les paroissiens sont tirés à quatre épingles. Nous nous sommes dissumulés à côté d'un pilier, nous essayons de nous rappeler la liturgie de notre enfance. Tout cela est si lointain ! Je sais juste dire Amen quand s'interrompt la lecture des évangiles.

Quand la messe se termine deux heures plus tard, nous partons visiter les alentours. Le quartier où nous séjournons n'a rien de touristique, mais c'est pour nous une opportunité de rencontrer des gens dans leur "milieu naturel". Alors, nous nous dirigeons vers le quartier du port. Nous marchons dans les rues en terres dans une ambiance animée. Chaque commerce est indiqué par un une planche peinte pour indiquer la fonction du marchand : menuisier, coiffeur, "la boutique". Hormis Coca-cola et Orange il n'y a pas de repère, pas de norme, pas de standard. Chacun est à son compte et il n'y a pas de trève le dimanche. Le marché a lieu exactement comme tous les autres jours de la semaine. Sur les chantiers, des ouvriers travaillent à la construction de maisons. Faute de temps ou faute d'argent la plupart des bâtiments sont des oeuvres inachevées. Rares sont les maisons qui ont un crépis. On voit des étais soutenir le plafond de bâtiments, mais je ne sais dire si des gens vivent à l'intétieur. Ce monde ne cesse de m'étonner et je renonce progressivement à mes logiques cartésiennes.

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Une boutique de pneus à Dakar

Quelques constructions abandonnées sur un terrain vague de Dakar
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Le port de Ngor

Décharge au bord de la quatre voies

Vers le pays Bassari

Le lendemain, nous nous rendons de bonne heure à la gare routière pour prendre la direction de la brousse. Cristina m'a prévenu que le voyage serait pénible, alors je suis préparé mentalement pour affronter une longue journée. Le trajet se fait dans une vieille Peugeot 504 optimisée pour le transport de sept passagers. Pour avoir plus de confort, nous achetons les trois places arrière et attendons que le dernier passager arrive. Il a beau être six heure du matin, un vendeur de lunette de soleil s'approche et nous propose des imitations de Rayban contre un "bon prix", par les fenêtres des gamins nous réclament cent francs pour manger. Déjà vu ! Je préfère dormir. Notre taxi doit avoir plusieurs millions de kilomètres au compteur, mais je ne peux vérifier cette hypothèse car le tableau de bord n'affiche plus rien. Après une heure d'attente, le chauffeur tourne la clé de contact. La 504 se mets en branle comme un vieux cargo. Il est sept heure du matin. Nous quittons la périphérie de Dakar et il fait encore nuit. Peu à peu, les constructions s'espacent, les cases traditionnelles sont plus nombreuses à mesure que nous nous enfonçons dans les terres. Notre destination, le pays Bassari, se trouve à sept cent kilomètres de Dakar. A cause de l'état des routes, il faut compter deux jours pour faire le trajet. Le premier jour, nous roulons dix heure pour atteindre Tambacoumba, un village à mi-chemin. Le chauffeur taciturne roule sans mot dire. D'ailleurs, dans notre taxi, tout le monde se tait. Serré sur la banquette, je peine à trouver une position confortable pour mes jambes. Les nids de poule minent la route et interdisent tout sommeil. La poussière s'infiltre par les fenêtres et j'ai de la terre plein le nez. Cristina avait raison : ce n'est pas un voyage en première classe !


Vers cinq heure de l'après midi, nous atteignons notre destination. C'est un village construit autour d'une route. L'air sent l'essence et la poussière. A peine sortis du véhicule, des enfants s'approchent de nous : «Donne moi cent francs », «Donne-moi un cadeau». Ils prennent des airs tristes et nous suivent en meute. "Donne moi cent francs". Je ne suis pas très à l'aise. Pour fuir ces perpétuelles sollicitations, nous nous éloignons du marché du centre ville. Mais avant de quitter le périmètre, il nous nous faut encore affronter un mendiant particulièrement tenace. Il prétend être réfugié de la côte d'Ivoire et me demande de lui trouver un travail (n'importe lequel). Il nous supplie de l'aider et invoque "la grâce de Dieu le Christ notre seigneur tout puissant !". Nous nous échappons.

Ici j'observe la misère de près pour la première fois et je m'étais préparé à un choc. Mais à vrai dire, je ne m'imaginais pas que ce fut à la fois si désagréable et si peu triste. De loin, la pauvreté semble être une sorte de drame terrible, une fatalité, une malédiction, mais dans les faits, c'est un feu d'artifice de bric et de broc. Dans cette foire aux freaks, les éclopés, les édentés, les manchots et les culs de jattes rient et pleurent sans penser à rien. Pour manger, ces gens font n'importe quoi. Dans leur style, il vivent une vie magnifique. Le mode de vie parasitaire de cet univers me dérange, mais surtout je juge l'insouciance de ces gens tout à fait inconvenante.

Nous traversons les bidonvilles de la périphérie, ceux que nous croisons sur la route ont le sourire. Ils sont plutôt accueillants. La misère sous le soleil ne semble pas si terrible. L'atmosphère baigne dans une ignorance bienheureuse. Il est cinq heure du soir. L'école se termine et des adolescents arrivent pour jouer pied nus sur un terrain vague. Un type nous interpelle : "Eh Toubab ! prend moi en photo ! Je suis une star !". Des petits jouent avec des brouettes désossées, ils courent après des pneumatiques éclatés. Tout le monde semble s'amuser. Seules les femmes d'un certain âge semblent échapper à la joie de cette vie en éclat de rire. Les grands-mères ne sourient pas, ou plus exactement, elle ne sourient plus.

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Cristina en compagnie d'enfants de Tambacoumba

Rue de Tambacoumba


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Gamins turbulents me demandant des cadeaux

Arrivée. Hagard à la gare routière de Tambacoumba


Ici, les habitants ne sont manifestement pas habitués à voir des blancs. Ils nous observent comme si nous étions des animaux venus de loin. Un attroupement d'enfants nous encercle et se déplace à notre vitesse. Ils chuchotent entre eux et les plus braves nous interpellent : "Toubab, toubab !". Ils ne connaissent pas le français. Pour communiquer avec nous, ils rient. Ils voient que Cristina porte un appareil photo en bandoulière et réclament une photographie. Cristina leur demande leur nom. Nous sympathisons et ils nous conduisent chez leur parents. La famille est réunie dans la cour autour d'une marmite fumante. Après quelques palabres, la grand-mère nous propose d'adopter sa dernière fille contre un peu d'argent. Cristina décline poliment l'offre, mais la grand-mère insiste : « il n'y a pas de problème, l'homme sera d'accord. Donne moi de l'argent et prends cet enfant ! Ne t'inquiètes pas, nous en avons beaucoup d'autres". Au Sénégal, les femmes ont en moyenne 7 enfants dans leur vie. La mortalité infantile ayant fortement diminuée, il est plus difficile d'assumer sa famille qu'auparavant. Techniquement, la solution serait de développer la contraception, mais mes hommes refusent d'en entendre parler : "ce n'est pas naturel". Sur ce continent, la nature a le dernier mot partout. Personne ne sait pourquoi il vit, personne ne sait pourquoi il meurt, mais chacun sait que c'est comme ça.

Dehors, il fait chaud. Nous retournons à l'hôtel pour nous reposer. Je suis épuisé. J'ai le sentiment d'en avoir trop vu. Pour quelques instants, j'aimerais retrouver un semblant de calme et de logique. Alors, je prends un livre et je m'allonge sur le lit. Mais alors que je m'efforce de terminer mon chapitre, un air épais déploie sur moi ses lianes puissantes. Je suis terrassé par une force étrange. Mon corps s'enfle d'une paresse extraordinaire et je ne parviens pas à contrer le poids de mes paupières. Tel un reptile exotherme, je deviens incapable de mouvement. Je deviens un enfant perdu dans un autre monde dérivant sur le Styx noir d'un cauchemar. Dans des limbes puissantes, je sombre. Mes doigts se dilatent, mon souffle se ralentit. Je ne suis pas certain d'être en train de respirer... Je ne comprends rien à ce qui se passe ici. Tout me semble si incohérent. Je m'endors. Je rêve d'escalator et de métro et pour une fois, cette vision m'apaise.

Kédougou

Ce n'est que le lendemain, après 12 heures de voyage, que nous atteignons destination finale. Aux confins du Sénégal, Kedougou marque la limite des invasions modernes. C'est le poste le plus avancé de l'empire du bitume. Au delà, vers la Guinée et vers le Mali, les chemins sont encore sauvages. Kedougou n'est pas à proprement parler une destination touristique, cependant, à cause de son éloignement de la civilisation, il reçoit régulièrement des visiteurs lointain en quête d'"authentique". Parmi eux, il y a des américains et des européens plutôt aisés, mais il y a aussi des Sénégalais nés à Dakar qui ne connaissent pas cette région de leur pays. Les blancs espèrent trouver ici un endroit où l'on n'est pas joignable par téléphone cellulaire, ou l'on est plus à la merci d'un email. Nous prenons une chambre dans un joli hôtel tenu par un couple de Francais. Le "Relais de Kedougou" est une reconstitution d'un village africain. Chaque client reçoit les clés d'une case construite suivant les techniques des différents peuples locaux. Bâti sur une hauteur, l'hôtel domine les eaux paisibles du Gambie. Nous posons nos valises et rangeons nous affaires dans l'armoire avec un certain soulagement.

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Vue sur la brousse depuis notre hôtel
Femme au travail au bas de notre hôtel

Je prends une douche revigorante avant de me promener dans l'enceinte. Il semble que nous soyons les seuls touristes, personne ne paresse au bord de la piscine. Déjà, le jour décline. Les passeurs du bac en contrebas rentrent chez eux. De l'autre côté du fleuve, la savane se recouvre d'un tapis de brume tandis qu'au sol, les ombres s'allongent démesurément. L'eau s'embrase des lueurs aurifères du soleil mourant. Pour diner, nous avons pris place sous la paillotte du restaurant. Je prends une gorgée de bière. A 7 heures du soir, la nuit tombe comme un coup de couteau. Les oiseaux se sont tus. Dans l'air tiède, les grillons poursuivent leur chants. Tout est si paisible. On nous sert un délicieux ragout de phacochère. Pendant que je me berce d'une volupté toute coloniale, Cristina, en face de moi, semble perdue dans ses pensées. De longs silences s'invitent à notre table. Au dessert, arrivent papayes, goyaves et mangues. Le serveur, très élégant, nous explique que les chasseurs reviendront tard dans la nuit et que c'est pour cette raison que tout est si tranquille.

Le lendemain, le soleil se lève à sept heures précises. Au marché, nous reniflons l'odeur des différentes épices, nous admirons le chatoiement des femmes. Cristina prend plaisir à négocier les prix au plus juste. A l'odeur de nos culs blancs, deux où trois types s'approchent et nous prient de visiter leur boutique, ils se proposent d'être nos guides. La manière la moins pénible pour se débarrasser des quémandeurs est à la fois simple et peu glorieuse : il suffit de les ignorer.

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Lessive sur un gué du fleuve
Jeune fille réalisant des tresses à sa soeur dans un village proche de Kedougou

Ensuite, Cristina me présente un ami rencontré dans un précédent voyage. Il tient un atelier de mécanique au centre du village. Au moment ou nous l'apercevons, il est installé derrière son ordinateur portable et furette sur internet. Il nous invite à nous asseoir sur des bidons d'huile pour discuter. Il nous raconte son histoire. Quelques années auparavant, il vivait à Barcelone et travaillait dans une grande entreprise de logistique. Il avait un poste tranquille, mais il se posait des questions. Il s'ennuyait. Alors, il a brusquement détourné le cours de sa vie. A quarante ans, sans véritable plan à long terme, il a quitté l'Europe. En voyageant, il y a rencontré une femme et lui a fait des enfants. Et voilà ! Depuis, il s'est mis à l'heure africaine.

Il est différents de tous les occidentaux que nous avons rencontrés jusqu'à présent. Car si, comme tout le monde, il s'est d'abord extasié sur "l'authenticité" d'une vie plus proche de la nature, aujourd'hui, il semble pleinement intégré. Il porte sur son quotidien avec un regard ni trop idéalisé, ni trop désillusioné. Il est vraiment dans cette économie bric-broc. Tous les jours, même le dimanche, il se lève et se rend à sa boutique pour attendre le chaland. Seuls quelques indices montrent qu'il n'est pas d'ici : il est en effet très sensible au bon fonctionnement de sa connexion internet : elle lui permet de garder le contact avec son univers précédent. En tous les cas, ses conseils sont précieux pour nous. Il nous recommande un guide pour visiter les alentours.

Au confins du Sénégal

Alpha nous propose de partir pendant trois jours en cavale dans des villages reculés. Sa formule "écotourisme", nous immergera dans le quotidien d'africain de la brousse. Pour ce faire, il nous faut abandonner le confort de notre hôtel. Nous n'aurons ni eau courante, ni électricité et pour ne pas risquer une intoxication, nous acheterons un gros bidon d'eau. Nous n'oublions pas non plus d'emporter une lampe de poche pour nous déplacer dans la nuit, si jamais la lune n'est pas suffisament claire. Bien que les 4x4 soient préférables sur les chemins de terre, pour des raisons de budget nous louons d'une vieille 504 aux pneus à gros crampons. Notre itinéraire nous rapprochera des frontières du Mali et de la Guinée. Dans ces contrées, les ethnies sont pléthoriques. En réalité, la mosaïque des peuples est beaucoup plus complexe que ce que ne le laisse suggérer les mappemondes des atlas. Ici, les découpages sont multiples : il n'y a pas de nation au sens ou nous l'entendons en occident, par contre il y a les tribus, il y a des familles, il y a des clans et des ethnies. Parfois, une ethnie est un empire ; comme pour les madingue, parfois elle se ramifie alors en plusieurs cultures ; comme les peulh, et parfois les ethnies n'ont pas de marque raciale particulière comme les bassaris. Certaines ethnies se mélangent entre elles. D'autres interdisent le mariage hors ethnie. A Kedougou, pas moins de huit ethnies se mélangent : Les Peulhs, les Bassaris, les Bediks, les Madingues, les Bambaras, le Wollofs, les Yalongas et les Kognalis. Parmi les langues employées, certaines ont des racines communes, mais d'autres vivent côte à côte ne se comprennent même pas. Dans ce maelstrum, le français sert de langue internationale et il est employé dans le commerce. Pour comprendre la complexité des questions ethniques, il faut aussi intégrer la dimension historique à la géographie des peuples. A cause d'une guerre qui eut lieu deux siècles auparavant, les Bediks n'aiment pas les Peulhs, mais les Bediks aiment les Bassaris car ils les ont abrité du temps où il était pousuivit par Alimurrah. Au final, la mosaïque est si complexe qu'elle n'a aucune chance d'être comprise par les étrangers.

Nous roulons pendant une bonne heure ; les chemins se font de plus en plus étroits. Entre les nids de poules et les arbres noueux, notre chauffeur zugzague avec une décontraction stupéfiante. Nous croisons des hommes à vélo se rendant au marché de Kedougou. Ils parcourent quarante kilomètres aller-retour plusieurs fois par semaine. Ils entassent leurs marchandises pèle-mêle sur leur porte-bagages. Les femmes, par contre, vont à pied. Dans des bassines multicolores, elles portent le linge à la rivière. Elles avancent indolentes, sous le soleil, gracieuses et absolument verticales sous le joug de leur corvée. Sur les chemins poussiéreux, leur robes sont chatoyantes.

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Famille se rendant au marché
Femme partant à la rivère pour faire la lessive

Notre voiture s'arrête devant une montagne sèche et pierreuse. Nous nous extirpons du véhicule tandis que trois individus sortis de nulle part se joignent à notre groupe. Un interprète se présente, il s'appelle Jean-Pierre nous expliquera la culture de son peuple. Pendant ses explications, des femmes s'approchent de nous et nous proposent d'acheter de la verroterie. Le village que nous allons visiter est situé à mi-hauteur de la colline. Nous grimpons par un sentier étroit. Sur le bord du chemin, des paysans travaillent la terre avec une houe. Sous un jujubier, des femmes interrompent leur cueuillette pour nous observer. Notre ascension se poursuit pendant une quinzaine de minutes quand le village surgit au détour d'un rocher. Une quinzaine de cases traditionnelles s'aglomère sur un petit plateau dans la montagne. Faites d'adobe et de terre de termitière, leur toit cônique est en chaume. L'interprète nous explique que trois familles résident ici. Les moeurs sont simples : hommes cultivent la terre, les femmes s'occupent des enfants et préparent la nourriture. Il est environ onze heure du matin. Au centre du village, on tient une sort de marché où sont exposées quelques statuette de terre cuite. Pour faire plaisir à nos hôte, nous achetons un totem de fécondité. En même temps que nous goûtons au joie du commerce (ça faisait longtemps), le guide nous délivre quelques rudiments de la religion locale. La cosmologie indigène est un peu déroutante ; elle mélange animisme et monothéisme. Ici les dieux sont assez grégaires et cohabitent sans faire de prosélytisme. A côté de l'autel des sacrifices, une case est surmontée d'une croix de Jésus. Elle sert d'église pour les grandes fêtes chrétiennes. Elle fut construite par le prêtre missionnaire il y a une trentaine d'année, ce dernier apporta quelques bienfaits de la modernité au villageois. Parmi ses hauts faits, le chef nous mentionne la découverte d'un puits non loin du village. Pour lui rendre hommage, les habitants le célèbrent encore. Il y a des esprits et il y a Jésus. Jésus est un esprit et les esprits veillent sur Jésus, mais il n'y a pas de quoi créer une guerre de religion.

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Le village à mi hauteur de la colline
Notre 504

Nous quittons le village et poursuivons notre excursion par un sentier escarpé. Nous avons pénétrons dans une sorte de réserve pour indigènes : ici, il n'existe plus de quota de chasse, plus d'impôts, plus de service militaire. En chemin, nous croisons quelques paysans torse nus qui portent leurs outils sur l'épaule. Ils cultivent de minuscules parcelles à flan de côteau où ils font pousser du manioc et des bananiers. Ces hommes sont des villageois d'en haut. Notre guide leur donne quelques noix de coca, car il est traditionnel d'honorer les ainés. Iwall est le plus grand village Bedik du Sénégal. Il est l'un des derniers jardins d'Eden au monde. D'après l'âge du baobab sacré, la fondation du village remonte aux années 1300. Le fondateur du village construisit la première hutte à côté du fromager sacré. Cet arbre, dont il ne reste que la souche, se trouve aujourd'hui au centre d'une centaine de cases. Cinq grandes familles délimitent les quartiers du village. A peu de chose près, ses habitants vivent selon les rythmes ancestraux. Même si certains jeunes portent des tee-shirt troués, nous apercevons des femmes sur des paillasse en train de filer du cotons. Ici, les filles ont des enfants dès quatorze ans, et l'on passe directement de l'enfance à l'adolescence. Pour les garçons, le passage à l'âge adulte se fait lorsque le chef du village les juge dignes de devenir des hommes. Ils sont alors envoyés dans la forêt et pour y vivre pendant quelques mois et apprendre au contact de la nature. Il n'existe pas de meilleure formation pour découvrir ce qu'est concrétement la vie, combien la pluie, le vent, le soleil et la nuit sont des lois fondamentales. Ils se construisent des abris près des troncs de gros baobabs, pour manger de la viande, il chassent des phacochères et des babouins ou des écureuils. Et pour manger sucré, ils ont les goyave, les jububes, les oranges... Les lois du monde sauvage sont dures, mais la nature est prodigue. Ils quitte le village par groupe de deux ou trois, mais durant leur formation ils parlent peu comme des animaux. Plus tard, lorsqu'ils retournent au village, il ne regagnent pas immédiatement la société. Leur éducation se poursuit dans une cahute au sortir du village. Là, des hommes initiés achèvent leur formation en leur dispensant un enseignement spirituel et en leur transmettant leur ascendance. Ils n'ont pas le droit de communiquer avec les femmes, ni avec les enfants et emploient entre eux une langue ancienne et mystique : magique.

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Femme du chef portant la coiffe traditionnelle
Souche du fromager sacré

Cette réminiscence d'un Eden perdu attire des aventuriers de tous poils. Bien que perdus au fin fond de l'afrique, nous ne somme pas les seuls blancs dans le village. D'autres toubabs sont venus chercher le précieux morceau de l'innocence primitive qui pourrait donner un sens à leur vie. Sous une paillotte, nous trouvons un informaticien de Boston en train de se reposer. Il y a aussi un américain médecin d'une trentaine d'année en mission humanitaire. Il consacre deux années de sa vie à enseigner la médecine non maraboutesque aux noirs des villages isolés. Il parle le Peulh couramment et il ne supporte pas que les noirs l'appelle le « Toubab ».

Je ne parviens pas à comprendre quelles peuvent être les raisons qui pousse cet individu à un tel renoncement, mais je crois que l'explication n'est pas à chercher dans le domaine du rationnel. En effet, il faut une sorte de foi pour s'imaginer avoir sa place ici en étant blanc. Dans ses yeux, je lis sa certitude qu'il a de faire le bien. Nous croisons aussi un perche-man, un cadreur et finalement, toute une équipe de télévision en train de voyager sur la planète pour rencontrer les peuples en périls.

A n'en pas douter, le mode de vie tranquille de ces aborigènes disparaitra bientôt pour n'être plus qu'un souvenir de l'humanité. Il est urgent d'immortaliser ces hommes sur une pellicule : dans cinquante ans, je pense que ces vidéos seront diffusées dans les musées d'histoire naturelle.

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Femmes filant du coton
Cuisine à côté de la place du village

Nous dormons dans un campement aménagé pour les occidentaux à Dindefelo. Ce petit village au pied de la montage n'est pas aussi préservé que les autres ceux que nous venons de visiter ; à l'instar de l'atelier de réparation de motocyclette, certains bénéfices de la modernité ont convaincus, mais il n'y a pas encore d'électricité ni d'eau coutante. Prochainement, Dindefelo sortira de son enclave. Quelques bâtiments possèdent des panneaux solaires. La globalisation a commencé son oeuvre à travers internet. Nous visitons les principales institutions du village : Le dispensaire médical, l'école primaire et surtout le collège qui vient d'être construit. Le proviseur est très fier lorsqu'il nous annonce que l'on achètera des ordinateurs portables pour équiper les élèves. Dindefelo est le premier village en terre Bassari.

Au loin nous entendons le son des tambours. C'est un mariage ! Trois musiciens animent la fête. Ils frappent frénétiquement leur tamtam et marquent le rythme à coups de sifflet. Les filles youyoutent et forment un cercle autour d'une danseuse. Celle qui est au centre a son quart d'heure de gloire : elle se trémousse et se met en transe, ses pieds nus soulèvent la poussière. Notre voyeurisme est toléré. Des villageois nous invitent à danser, puis nous laissons la fête se poursuivre et regagnons notre campement.

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Cristina prend sa douche
Souche du fromager sacré

Derrière une barrière d'osier tressé, nous prenons une douche en plein air. L'eau dans le seau n'est pas très claire, mais en ces terres poussiéreuses, nous aurions mauvaise grâce à faire les difficiles. A certains détails, nous remarquons que nos culs blancs bénéficient d'un traitement de faveur : Notre fosse septique est propre, nos pieds de lit sont rehaussés afin que les lézards ne se glissent pas dans nos draps et puis, nous n'allons pas chercher l'eau au puits.

Dernier jour

Sous des étoiles claires comme des diamants, nous passons une nuit inhabituelle loin des moteurs et du tic-tac des horloges. Ici, les repères sont bien différents. Dès cinq heure du matin le coq se met à chanter, puis, peu de temps après, les femmes commencent à piler le mil et le sorgho. Le mortier résonne au quatre coin du village et la litanie éternelle reprend. Nous avalons un nescafé opour calmer un peu mon estomac qui fait des remous. Aujourd'hui, notre marche nous mènera en territoire Guinéeen, sur les plateaux de la montagne.
Un certain temps nous est nécessaire pour nous réchauffer et recouvrir notre lucidité. Tandis que nous progressons dans les herbes hautes, le guide nous récite en chapelet le nom des arbres que nous rencontrons, mais ce matin, je n'ai pas envie de m'instruire et j'oublie immédiatement tout ce que j'entends. Je me concentre sur mes pieds pour ne pas trébucher sur une racine. J'oublie où je suis, ce que je fais. Je repense à tous mes livres, à mon ordinateur, à mon amnésie continentale si confortable. Et tout d'un coup : je ne pense à rien. Nous faisons différentes haltes. D'abord nous nous arrêtons chez un marabout en train d'écrire des plaquette pour l'enseignement du coran. Nous nous rendons ensuite nous nous arrêtons chez une vieille femme pour manger quelques oranges, elle en profite pour nous montrer un échantillon de ses poteries. Nous examinons poliment sa production, alors que les chèvres tentent des rentrer dans la cour pour manger les pelures, mais mon esprit est ailleurs. Je pense à ma chance. Oui. Je sais que cette femme passera sa vie à empêcher les chèvre de sauter par dessus la barrière, et je la plains. Mes bienveillances rousseauiste sont impuissantes à transformer cette petite case perdue sur une montagne en autre chose qu'une petite case perdue sur une montagne. Nous poursuivons notre route et ces "fermes" isolées se suivent, jusqu'à ce que nous atteignons une sorte d'agglomération où un empilage de parping préfigure une future école.
Il est midi. Chez une famille de notables, nous mangeons un poulet maffe. La sauce est à base de pâte d'arachide très nutritive. Cristina, qui a participé à la préparation du plat, manque d'appétit. Après une sieste sur un lit de bambou, nous traversons un champ de termitièrev avant de longer une falaise spectaculaire. Le panorama est grandiose. Suspendus à une liane, le boy qui nous accompagne prend une photo de l'apic. Il nous conduit à la source d'une cascade qui tombe trois cent mètres plus bas.

Tout l'après-midi est nécessaire pour redescendre par un sentier pierreux. Tandis que nous allons prudemment en aggripant les branches et les pierres, des enfants en claquettes nous dépassent en courant. "Il rentrent de l'école" nous explique Alpha. Au bas de la cascade, on nous propose un bain. L'eau est glacée, mais je me baigne car je ne peux pas résister à cet vision du paradis. Notre raid se termine sur cette vision.

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Sur les plateaux de la Guinée

Aventuriers à flancs de falaise

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Notre campement de Dindefelo

Les sources de la cascade

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Trois couleurs

Au pied de la cascade

Retour

Pour notre retour à Dakar, nous voyageons de nuit. Nous avons rendez vous à 17h30 sur le parking et cette fois, le retard n'est pas toléré. Nous irons dans un bus beaucoup plus luxueux que le taxi brousse qui nou a emené ici. Tandis que le préposé au bagage nous déleste de notre sac-à-dos pour le caler dans soute avec un art de l'optimisation tout africain, j'aperçois une blanche à la peau rougie par le soleil, elle dissimule ses yeux rougis derrière de une grosse paire de lunettes de soleil. Cela m'intrigue. En posant quelques questions à mes voisins, j'apprends qu'elle est américaine et qu'elle fut volontaire dans un village proche de Kedougou durant les deux dernières années. Aujourd'hui, son aventure de missionaire arrive à son terme. Je me demande : que pleure-t-elle ?

Cette fille a grandi dans le Midwest, peut-être à New-York ou en Californie, en tout les cas, elle a été élevée dans des valeurs bien éloignées de celles qui prévalent ici. Pourtant elle pleure ! Laisse-t-elle ici des amis, une famille d'adoption, un art de vivre ou une forme de simplicité ? Je ne sais pas.
Pour ma part, je ne regrette rien (il est vrai que je n'ai séjourné que deux semaines). Il y a tellement peu de choses au bout des pistes africaines : il y a des fruits, des animaux et de la poussière... Tout cela semble si vainc.
L'Afrique est le continent d'un seul temps : celui du présent. C'est son mystère et la plus puissante de ses leçons. Moi, pauvre petit blanc, alors que tout est là sous mes yeux, je chercher sans en trouver, une logique à ce désordre placide. En définitive, la raison n'est d'aucun secours à cette expérience transcendentale. Exubérante et aride. Généreuse et brutale. L'Afrique c'est l'antithéorie. On n'y trouve rien d'intelligible, mais on s'en arrange. Elle est née d'hier et elle est éternelle. Elle est bénie comme ces rêves dont on ne veut pas s'éveiller. Au fond de moi, je sais n'avoir rien compris à ce monde trop orthogonal à mes valeurs. Et je me demande ecnore, comme un étudiant qui aurait raté son examen de philo : Pourquoi pleurait-elle ?